Rembrandt Bugatti (1884-1916), un sculpteur pas comme les autres

Bugatti, Zoom sur...

Fils cadet de Carlo Bugatti, Rembrandt naît à Milan le 16 octobre 1884, un peu plus de trois ans après son célèbre grand frère, Ettore… C’est son oncle, Giovanni Segantini, qui choisit son prénom d’artiste « pour encourager le sort » ! À partir de 1896, le jeune garçon travaille le métal et le bois à l’atelier de son père pour acquérir les rudiments du métier.

Un jour de 1899, Carlo Bugatti et son ami, le sculpteur Troubetskoï, découvrent dans l’atelier familial une sculpture recouverte d’un linge humide, représentant un paysan conduisant trois vaches. Son auteur n’est autre que Rembrandt (14 ans) dont c’est la première œuvre connue. Sur les vives recommandations de Troubetskoï, Rembrandt entre alors à l’Académie Brera de Milan où, très rapidement, il acquiert une réputation d’artiste surdoué.

En 1903, première exposition de Rembrandt à la Biennale d’art de Venise, puis à Turin et à Milan. Attiré par la France et par le rayonnement artistique de Paris, Carlo Bugatti quitte l’Italie l’année suivante et, avec sa femme Thérèse et son fils Rembrandt, s’installe rue Jeanne-d’Arc, dans le XIIIe arrondissement de la capitale.

À 19 ans, Rembrandt devient membre de la Société nationale des Beaux-Arts de Paris, où il fréquente régulièrement le Jardin des Plantes et sa ménagerie. Précédé par sa réputation, il est contacté par Adrien-Aurélien Hébrard, de la galerie d’art du même nom, où Rembrandt fait sa première exposition particulière avec une trentaine de plâtres.

Propriétaire d’une fonderie d’art, Hébrard est le fils du directeur du quotidien Le Temps, un journal qui se charge de promouvoir les expositions de Rembrandt, tandis que les techniciens de la fonderie mettent leurs compétences de la « fonte à la cire perdue » au service de son art.

La richesse des patines exécutées par l’atelier Hébrard est sans pareille et inégalée à ce jour : les œuvres de Rembrandt Bugatti seront progressivement éditées à une dizaine d’exemplaires en moyenne, certaines pièces étant uniques et d’autres, très populaires, éditées à plus de trente exemplaires. C’est le début d’une longue collaboration entre les deux hommes, via un contrat unilatéral de préemption provisoire d’abord (signé le 22 juillet 1904), et un contrat d’exclusivité ensuite (signé un an plus tard, le 10 juillet 1905).

1904 est aussi l’année où Rembrandt crée une sculpture Éléphant dressé jouant, qui sera fondue en argent et légèrement modifiée vingt ans plus tard, pour servir de modèle au bouchon de radiateur de la célèbre « Royale » de son frère Ettore (1928). Toutes ses sculptures connaissent un très grand succès, comme au Salon de la Société national des Beaux-Arts, où Rembrandt sera présent chaque année, jusqu’en 1916.

En 1905, il expose pour la première fois au Salon d’automne du Grand Palais. Devenu majeur (21 ans), il côtoie à Paris des célébrités, comme Modigliani, Guillaume Apollinaire et André Derain. Son bronze Dix minutes de repos gagne, en 1906, le Grand prix à l’exposition de Milan.

Invité par la Société royale de zoologie d’Anvers, Rembrandt part en 1907 pour la Belgique, où cette institution accueille chaque année des jeunes sculpteurs, en organisant expositions et ventes de leurs œuvres. En tant qu’invité, il peut installer son matériel et travailler librement dans le jardin zoologique de la ville qui constitue, à l’époque, le plus grand zoo d’Europe.

Rembrandt restera en Belgique sept années, jusqu’en 1914. Son élégance vestimentaire – il dessine lui-même ses vêtements – et son attitude distinguée lui valent le surnom de l’« Américain ». À Anvers, il est chaleureusement accueilli dans la famille du consul général de France, François Crozier, qui lui procurera un sauf-conduit pour quitter la ville, assiégée par les Allemands au début de la guerre.

Si la Société de zoologie lui fournit le matériel de travail, Rembrandt doit se loger à ses frais : ses dépenses en habits et sa générosité envers ses amis lui feront connaître des difficultés financières presque ininterrompues jusqu’à la fin de sa vie. Toujours en 1907, ses nouvelles créations sont présentées à la galerie Hébrard, à Paris, où son père Carlo expose également ses œuvres d’argenterie.

Par la suite, Rembrandt expose ses sculptures au Salon de printemps de Bruxelles (1908, 1910) et au Salon de Liège (1909). À Noël 1909, toute la famille Bugatti – dont Rembrandt qui souffre de tuberculose – se retrouve pour la première fois en Alsace, dans la nouvelle demeure d’Ettore, fraîchement installé à Molsheim.

Le 22 mars 1911, Rembrandt (26 ans) est nommé chevalier de la Légion d’honneur, sur proposition d’A.-A. Hébrard qui déposa la demande au nom de son protégé. À Paris, où il vient souvent surveiller les moules de ses bronzes chez Hébrard, Rembrandt côtoie Pablo Picasso, Max Jacob, Maurice de Vlaminck et le célèbre critique André Salmon.

L’année 1914 correspond à la première exposition américaine de ses sculptures à la Goupil Gallery, de New York. Mais au début de la guerre, ne pouvant être mobilisé en tant qu’étranger, Rembrandt se met à la disposition – comme brancardier volontaire – d’une section belge de la Croix-Rouge, établie au zoo d’Anvers, ville qui le nommera « citoyen d’honneur » pour sa conduite héroïque lors des bombardements.

Accablé par les horreurs de la guerre, il part pour l’Italie (fin 1914), avant de regagner Paris où il s’installe dans un atelier de Montparnasse. L’année suivante, il sculpte pour le duc de Gramont un Christ grandeur nature, en prenant pour modèle un jeune Napolitain athlétique, fixé sur une grande croix érigée dans l’atelier, chevilles et poignets liés.

Le samedi 8 janvier 1916, Rembrandt Bugatti met fin à ses jours en s’empoisonnant au gaz d’éclairage, après avoir assisté, le matin même, à une messe en l’église de la Madeleine, à Paris. On le trouve dans son atelier de Montparnasse, étendu sur son lit, dans une tenue irréprochable. Un bouquet de violettes et deux lettres sont posées sur la table de chevet : une pour le commissaire de police du quartier et l’autre pour son frère Ettore.

L’Église concède au suicidé l’enterrement religieux : les obsèques ont lieu à Notre-Dame-des-Champs, tandis que le corps est inhumé dans le caveau familial de Dorlisheim. Sa dernière œuvre, représentant une lionne écrasant un serpent, est signée par Ettore Bugatti, précédée de la phrase : « Dernière œuvre de mon frère. Paris, 8 janvier 1916 ».

À la demande d’Ettore, Albino Palazzolo exécute un masque mortuaire de Rembrandt – actuellement au Musée d’Orsay – tandis que la presse parisienne réagit immédiatement à la disparition du jeune artiste :

« Le grand sculpteur italien Rembrandt Bugatti, membre de la Légion d’honneur, vient de mourir à Paris dans des circonstances particulièrement douloureuses. […] La disparition de cet artiste de 30 ans, noble et consciencieux, affectera tous ceux qui avaient pu apprécier la vigueur et l’originalité de son admirable talent […] ».

Grégory OSWALD