Le menhir (dit Lange Stein), un monument préhistorique méconnu
Archéologie, Zoom sur...
Une ancienne pierre-borne
Lorsqu’on se dirige de Molsheim à Altorf, en empruntant l’ancienne route à travers la Hardt, on aperçoit à mi-chemin, au-lieu dit Gaensweidt, une curieuse pierre dressée sur un petit tertre. Placée à la limite du territoire d’Altorf mais encore sur le ban communal de Dorlisheim, elle semble remplir le rôle de borne. Ainsi, sur la face Est du monolithe a été gravé un crochet, symbole héraldique de la commune d’Altorf. D’autres signes et chiffres ont également été relevés sur la pierre, en particulier le millésime 1781, année au cours de laquelle les limites communales auraient été révisées.
La hauteur visible de la stèle correspond approximativement à la taille d’un homme adulte. Constituée d’un seul bloc de grès rouge, elle est couverte d’une couche de lichen sur toute sa hauteur. Toutefois, une zone de coloration différente d’environ 50 cm de large se détache sur le pourtour de la base. Cette variation semble indiquer la présence initiale d’un monticule beaucoup plus haut et plus imposant qu’à l’heure actuelle ; un détail confirmé par plusieurs anciens d’Altorf et de Dorlisheim.
Malgré les nombreux textes qui signalent notre pierre comme borne depuis la fin du Moyen Âge, cette stèle avait primitivement une autre fonction. N’oublions pas ses différences avec les autres bornes anciennes de la région quant à sa forme et ses dimensions. Mais c’est essentiellement le fait que le bloc se trouve au sommet d’une élévation artificielle du terrain qui la distingue des autres bornes, et lui confère un caractère monumental.
Une stèle du premier Âge du Fer
Dans un article paru en 1979, René R.J. Rohr crut y reconnaître une pierre de calendrier néolithique, en se basant sur sa situation géographique particulièrement avantageuse par rapport aux autres mégalithes de la vallée de la Bruche. Mais la théorie la plus généralement admise est néanmoins celle d’une stèle tumulaire de la fin de la Préhistoire…
Ainsi, la région de la Hardt est particulièrement riche en tertres funéraires, dits tumuli : entre Dachstein et Ernolsheim-Bruche on rencontre encore une dizaine de ces monuments. Trois d’entre eux étaient autrefois surmontés d’une stèle, ce qui laisse supposer que le menhir d’Altorf est également un reliquat de cette époque lointaine. Les fouilles entreprises à la base du bloc par F.-A. Schaeffer et J.-J. Hatt, au cours de l’automne 1928, ont confirmé cette hypothèse.
Leurs travaux mirent en évidence un calage fait de galets de rivière ainsi que quelques charbons de bois et un tesson de la fin du premier Âge du Fer (Hallstatt final). Selon les spécialistes, la pierre doit provenir des premiers contreforts des Vosges, à environ 4 km : sa hauteur totale est de 2,25 m ; sa largeur à la base est de 0,80 m, elle diminue vers le haut, où la pierre, rongée par les intempéries, n’a plus que 0,50 m et au sommet 0,35 m de large. Son épaisseur est de 0,37 m à la base, et de 0,24 m à mi-hauteur.
La tradition populaire
Durant des siècles, les mégalithes ont été l’objet de la superstition populaire et ont souvent été entourés de nombreuses légendes conservées par la tradition orale. Ce menhir ne fait point exception comme l’a démontré le Dr Henri Gerlinger dans un article publié il y a 75 ans.
Appelée Lange Stein par les habitants d’Altorf et de Dorlisheim, cette grande pierre étaient dénommée Hardtbibber par ceux de Molsheim. À Altorf, on désignait même du nom de Hexenbuckel (tertre des sorcières) le tumulus sur lequel se trouve le menhir. Des gens prétendaient, en rentrant tard dans la nuit, avoir vu des sorcières dansant autour de la pierre levée ; d’autres affirmaient avoir rencontré une dame blanche près de la stèle…
Une vieille tradition de Molsheim rapporte une légende assez originale à son sujet. Selon celle-ci, il existait autrefois une petite auberge devant la porte des Forgerons. Un jour, un homme y aurait parié de manger quelques douzaines de saucissons et d’absorber en même temps plusieurs litres de vin. Il ingurgita la nourriture et but goulûment la boisson, de sorte qu’il gagna son pari. Après avoir touché la mise, il partit en direction d’Altorf, d’abord à une allure modérée, puis, après avoir franchi le pont de la Bruche, il se mit à courir. À bout de souffle, il s’arrêta près du menhir pour se reposer. Les badauds qui avaient assisté à ce pari insensé l’avaient suivi par curiosité, et le retrouvèrent mort, le ventre éclaté, au pied de la pierre. Il fut enterré sur place…
Dans ces récits légendaires, plusieurs points sont à retenir : la dame blanche ainsi que les sorcières qui dansent la nuit sont probablement les réminiscences d’un lieu de culte antique, abandonné à la suite de l’essor du christianisme. L’homme qui mourut au pied de la pierre et y fut enterré paraît plutôt être une interprétation déformée de la destination primitive du tumulus comme lieu de sépulture…
Grégory OSWALD